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En vous souhaitant de prendre autant de plaisir à les lire que j'en ai eu à les écrire.

La Manticore

Comme il est dit dans les chroniques de Mesalena : Fangor fut aspiré vers l’océan. Dans le noir absolu. Un poisson lumière vint se caler sur son épaule. Fangor vit alors le pays du courant. De grandes créatures, tentacules, nageoires, s’ébattaient en riant ou se battaient à mort. Ceux qui étaient blessés se frottaient aux murènes et s’en trouvaient guéris. Ceux qui étaient perdus, en plongeant vers le haut, avaient la lune pour les guider…

Le poisson lumière, touché par la conscience de Fangor resta longtemps à contempler ceux qu’ils savaient maintenant être ses frères, ses sœurs, du royaume sous-marin. Les voir se battre l’attristait. Il en comprenait bien la raison mais il aurait souhaité que parfois, plutôt que de se déchirer, ils s’entraident et construisent, comme font ceux du dessus.

Il nagea, passant des eaux froides du nord aux eaux chaudes du sud, des eaux chaudes du sud aux eaux froides encore plus au sud. Mais partout les peuples sous-marins luttaient encore et toujours et seules les murènes soignaient ceux qu’elles pouvaient.

Le poisson lumière passa alors des eaux chaudes du dessus aux eaux froides du dessous. Il s’enfonça dans les profondeurs de l’océan, plus bas qu’il n’avait jamais nagé. Jusqu’à une grande faille. Il avait atteint les Abysses. Un lieu si noir que même lui, le poisson lumière, ne pouvait en éclairer plus quelques nageoires de long.

C’est alors qu’il aperçut, nageant prés de l’abysse, un étrange poisson. Le poisson lumière s’en approcha doucement pour ne pas l’effrayer mais l’autre poisson, placide, ne fit pas mine de fuir. Le poisson lumière s’en approcha alors jusqu’à complètement l’éclairer. Sa robe d’écailles bleu marine était parsemée de petite marques blanches. Et, s’il possédait bien plus de nageoires que les autres poissons, au moins deux ou trois paires, ce n’était pas le plus surprenant chez lui : ce poisson ne nageait pas, pas vraiment. Il donnait plutôt l’impression de marcher, sur le fond de l’océan. Et même dans l’eau, sans surface sur laquelle s’appuyer.

Le poisson lumière s’en approcha encore, jusqu’à le toucher, et entama la discussion avec lui.

Elle ! Apprit-il rapidement. Une mère poisson millénaire nommée Cœlaca, de grand savoir et de profonde sagesse. De cette discussion naquit l’idée d’un endroit où le poisson lumière pourrait réunir ceux qui comme lui voudraient s’unir sous les eaux.

Sur les conseils de la vieille mère profonde, le poisson lumière remonta vers des eaux plus chaudes pour aller rencontrer les coraux et les inciter à venir, plus au fond, bâtir de leurs corps unis un magnifique endroit. Certains acceptèrent et bientôt, au bord de l’abysse, on vit pousser des colonnes luisantes, des arches enrochées, des statues phosphorescentes, des passages nacrés, un palais.

Le poisson lumière se mit en quête de ses frères et tous choisirent de venir, éclairer la cité. Ils se réunirent tous autour de Coelaca, lui proposant de venir vivre au palais et d’apporter sa sagesse à chacun. Mais Coelaca refusa. Elle préférait rester tranquille, à nager de son allure marchante sur le bord de l’abysse, profitant des lumières qu’ils lui avaient offertes.

Pour autant, toujours elle répondrait aux questions qu’ils poseraient et s’ils voulaient un avis, dans leur palais pourrait siéger un conseil des peuples sous marins de ceux qui auraient choisi, comme les poissons lumière, de ne plus s’affronter par la chair et le sang mais par le mot et l’idée.

Les murènes averties de ce grand événement vinrent en nombre nager au dessus de la cité en un rond tournoyant de corps se frottant. Et puis, en l’espace d’un instant, se séparèrent à l’unisson, chacune partant vers les eaux plus chaudes du dessus, du nord ou du sud, porter la bonne nouvelle de la merveille accomplie.

C’est ainsi que les peuples des grands fonds marins peu à peu se joignirent à la grande cité et l’on vit au conseil bientôt siéger les rascasses, les requins, les baleines, les dauphins, les thons et les homards, les poulpes et les coraux.

L’une des murènes, remontant vers la lune, vit une forme flottante à la frontière du monde. Etrange forme carrée munie de pattes, de curieuses nageoires et d’une longue queue pointue. Utilisant sur elle-même son pouvoir de soigner, elle se permit ainsi de passer la tête hors de l’eau pour découvrir flottant à la dérive au milieu de nulle part une Manticore sur un gigantesque tonneau. Le tonneau de bois, cerclé d’acier noir prenait l’eau aux endroits où les griffes l’avaient percé et ne supportait plus qu’à peine le corps de la créature qui, épuisée, ne pourrait bientôt plus surnager. Une noyée en sursis.

La crinière de feu fit penser à la murène qu’elle pouvait être fille de Kemorne, frère de Fangor. Ne pouvant la laisser se noyer sans rien faire, la murène vint frotter son corps contre le bois, contre l’acier, contre la fourrure de la Manticore. Mais rien n’y fit. L’heure été venue de sombrer.

Refusant de l’abandonner, la murène se frotta encore et encore, à chaque frottement s’aplatissant, s’allongeant, se mêlant plus étroitement, au métal, au bois, à la fourrure, jusqu’à la chair de la créature. Et lorsque le dard vint se planter dans la murène, le poison, loin de la tuer, lui permit de souder, réunir ses éléments disparates en un être flottant, un bateau vivant, au cœur de murène, esprit de Manticore.


La Manticore, sauvée des eaux par les peuples des eaux, se promit de passer le reste de son existence à aider ceux qu’elles pourraient, sillonnant les mers et longeant les côtes à la recherche de baleines échouées, de dauphins prisonniers. De ses rencontres, se forma un équipage, d’aspect hétéroclite, humains, elfes et même un faune devenu capitaine. Des êtres venu de la cité de sous la mer à qui les murènes offrirent des poumons et, peut être, qui sait, certains secrets à découvrir ou partager ; mais tous étaient animés d’un esprit et d’un cœur commun. Le cœur de la murène et l’esprit de la Manticore.

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