Bienvenue dans mon vrac.

Vous y trouverez des textes variés : Grandeur Nature, atelier d'écriture, poèmes ou autres : aventures et histoires.

En vous souhaitant de prendre autant de plaisir à les lire que j'en ai eu à les écrire.

neufs voiles

Du temps des ancêtres de nos ancêtres, nous vivions dans des villes, des villages, des hameaux. Nous avions nos ports, nos mines et nos scieries. Nous étions des marchants. Puis vint le grand cataclysme qui fit de nous des marchands.

Sountada brillait haut dans le ciel, la nuit du changement, cette nuit qui marqua notre histoire. Dans les rues de notre île capitale, ce n’était que chansons et boissons. Aux balcons, aux créneaux, des oriflammes pendaient. De partout des torchères illuminaient la nuit. On célébrait, je ne sais, quelque dieu ou jour saint. L’histoire n’a pas gardé l’origine de la liesse.




Mais c’est pour cette fête que Nelties dansait sur la place centrale de notre île capitale.




Du poignet, elle captait le regard du passant et d’un mouvement de nuque, sa longue chevelure en s’ébattant gaiement le tenait immobile. Sa robe s’envolait découvrant sa cheville et le passant dés lors oubliait tout le reste. Rien ne pouvait compter davantage à ses yeux que le corps de Nelties et sa danse du feu.

Ils étaient des centaines, peut-être des milliers, tous figés, contemplant cette ultime beauté. Et Nelties s’enhardit, d’être ainsi admirée, absorbant l’énergie du désir exprimé et toujours dansante accéléra le pas, donnant des coups de hanche jusqu’à ce que l’estrade sur laquelle elle était se mette à fumer.

Les volutes blanchâtres qui venaient la masquer ne faisaient qu’attiser davantage le désir des spectateurs massés, ivres et assoiffés.

Ferdec s’obligeait à ne pas regarder Nelties qui dansait pour ne pas succomber. Voleur de métier, lentement se glissait entre les spectateurs qu’il voulait délester. Bourses, fibules ou broches, tout était bon à prendre tant qu’il pouvait l’avoir sans déclencher d’alarme.

C’est alors qu’il vit un certain Néamal, un mineur de renom, qui avait quitté sa montagne pour cette grande occasion et qui portait au bras un bracelet de bronze qui renvoyait le rouge du rubis qui y était serti sur les visages alentour. Sans perdre de temps, Ferdec se pencha et d’un geste familier fit mine de bousculer Néamal, tout en le soulageant du bracelet qu’il glissa dans sa poche. Mais Sountada, traîtresse aux voleurs parfois, révélait à Néamal qu’il n’y avait plus le rouge éclatant du rubis mais le gris de la nuit sur les visages autour. Il hurla « au voleur » et puis se retourna en pointant un doigt accusateur sur Ferdec. Ce dernier qui partait de la place en silence se retrouva bloqué par trois hommes de garde. Ne pouvant plus s’enfuir, il tenta de lutter. Pour défendre sa vie, il prit en main ses dagues. Les hommes de la garde, surpris, furent vite à terre et Ferdec allait pouvoir s’échapper lorsqu’il entendit un cri par derrière et des pas rapides qui se rapprochaient. Par réflexe, il prit une de ses dagues. Au jugé la lança, avant de s’échapper.

Néamal la vit arriver droit vers lui. Il eut juste le temps de se laisser tomber. Et la dague fusa en sifflant dans la nuit. Dans le cœur de Nelties, elle alla se planter.

Une immense clameur de profonde détresse s’éleva de la place. Et tandis que Nelties lentement s’écroulait, l’estrade s’enflamma.

Un instant le silence recouvrit chaque esprit et de dessous le sol, un tremblement se fit. L’énergie de désir dont Nelties s’était nourrie était sauvagement libérée. Le feu de sous la terre répondit à l’appel du feu du désir. Le sol se craquela. Tous se mirent à hurler. Les maisons se fendirent en deux comme brindilles. De hautes tours de pierre vacillaient, s’écrasaient sur ceux qui n’avaient pu assez loin fuir. A peine quelques instants de plus à contempler cette horreur et il n’y avait déjà plus rien à voir que les ruines et les morts. Tout était fracassé. Et alors la lave recouvrit tous les corps. Et alors la lave vint pour tout avaler.

Et tandis que le rouge recouvrait le sol, un nuage noir de suie s’éleva dans le ciel et cacha aux regards Sountada et ses filles, les étoiles.

Braolto, l’armateur, était resté à quai. Il n’avait pu se résoudre à quitter le navire qu’il venait de finir de faire construire même pour une aussi grande fête que celle qui s’annonçait cette nuit là. Lorsqu’il vit, au loin, les tours de l’île capitale s’écrouler, il ne perdit pas de temps à s’étonner, s’exclamer. Il monta sur le pont et hurla ses ordres à son équipage. Cela nous sauva tous car, au lieu de paniquer, l’équipage obéit comme il le faisait toujours. Et bientôt tous furent prêt à appareiller. Les autres capitaines avaient quitté le bord pour aller festoyer. Braolto passa, de cordages en cordages, d’un navire à l’autre. Partout il ordonna et on lui obéit. « Préparez le départ ! Chargez ces aliments ! Oubliez ces bois rares et prenez les enfants ! »

Plein à craquer de survivants, le navire de Braolto fut le premier à quitter le quai. Les amarres étaient larguées. Mais, à cause de la marée ou par manque de vent, le bateau ne voulait s’éloigner.

Dans les cales, entassés, des hommes, des femmes et leurs enfants, prostrés, écoutaient la fureur de la terre se répandre. Comprenant le danger, contenu dans ce silence, de les voir paniquer, Malimiane, l’épouse de Braolto et mère du bateau, prit sa cithare et se mit à jouer un air apaisant aux tons forts et puissants. Les quelques musiciens qui se trouvaient à bord accompagnèrent la mère dans ses accords. Et tandis que la musique s’élevait, la brise se mit à souffler, les entraînant au loin.

Du moins le croyaient-ils.

De nombreux autres bateaux les suivaient mais le sang rouge de la terre surgit de nulle part, s’envola vers le ciel et retomba en pluie de roches sur les navires qu’il éventra, enflamma. L’eau bouillonnait. Ceux qui sautaient à l’eau y mourraient à l’instant où ils y pénétraient.

Braolto ne savait plus que faire pour échapper à la mort. Rien ne pourrait les sauver de la colère de la terre. Il se mit à genoux sur le pont et remercia Hyèmistrée, la mer, de tous les bienfaits qu’elle lui avait accordé par le passé ; Les bonnes prises de pêche et les îles inconnues, les jours de vent mauvais et aussi le beau temps. Du premier jour de pêche jusqu’au dernier instant, les tempêtes bravées, sur le pont, torse nu. Et alors qu’il priait pour la remercier, Hyèmistrée l’entendit du fond de l’océan.

Une vague d’eau verte se leva soudainement ou l’on pouvait croire voir d’étranges créatures. Et la vague poussait les navires vers le large, les éloignant des flammes des roches et des sulfures.

Soudain prés du bateau, on entendit un cri. Perché sur un tonneau, un enfant appelait. Braolto lui lança une corde mais l’enfant effrayé ne put pas l’attraper. Braolto la reprit et la noua à sa ceinture. Il plongea vers l’enfant. L’eau ne bouillonnait plus mais elle restait brûlante. Chaque brasse le torturait atrocement. Braolto allait abandonner lorsqu’il se vit entouré par les étranges créatures vertes qu’il avait crû voir dans la vague. Elles l’encourageaient. Par leurs chants elles l’aidèrent à rejoindre l’enfant. Il se détacha, passa la corde autour du tonneau et un signe de main en guise d’adieu, s’enfonça dans les eaux avec les créatures.

L’enfant fut ramené à bord et puis soigné. Il s’appelait Slentif, enfant abandonné. Et lorsque la famine manqua de décimer les équipages des neuf navires survivants et que c’est Slentif qui les sauva tous par une pêche miraculeuse alors tous comprirent que c’était Hyèmistrée qui l’avait envoyé et que Braolto ne s’était pas sacrifié en vain. Il dormirait pour toujours dans les bras de Hyèmistrée. Et l’enfant fut aimé.

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