Alors
que chacun attendait l’annonce de la mort d’Oq’triam, Fedorel, Le
maître bibliothécaire de ce qui n’était pas encore la bibliothèque de
Pagolos, fut mandé à son chevet. Ceci est une copie du parchemin qu’il
rédigea à son retour, le lendemain matin.
La
nuit du trépas d’Oq’triam, j’allais me coucher lorsque l’on tambourina à
ma porte. J’ouvrais vivement, prêt à rembarré l’impudent, lorsque je
vis une des filles de cuisine dont je savais qu’elle avait été dépêchée à
la veille de notre bon maître.
J’appris
alors de la bouche tremblante de l’enfant qu’il désirait me voir. La
remerciant et l’invitant à aller se reposer un peu avant de reprendre
son service, je m’habillais donc à la hâte pour aller retrouver celui
qui allait nous quitter.
A
ses fenêtres, les tentures avaient été tirées, renouvelant l’air vicié
par la maladie qui rongeait Oq’triam de l’intérieur depuis plusieurs
semaines. Des bougies parfumées avaient aussi été allumées, je le savais
pour moi. Leurs effluves, ajoutées à l’air frais, rendaient la pièce
respirable.
Lorsqu’il
me vit, Oq’triam sourit. Du plaisir de me voir ? de voir ma réaction
sur mon visage ? Je ne sais. Il me fit signe d’approcher de son lit.
J’attrapais un des tabourets de sa table de travail et m’assis à son chevet.
- Maître ? Vous m’avez mandé ?
-
Oui, mon bon. Trasni est une soigneuse émérite et les filles
qui me gardent sont toutes charmantes mais elles ne peuvent ni l’une ni
les autres remplir certains offices.
- Je vous servirai de mon mieux, maître.
-
Je le sais bien, Fedorel, je le sais bien. C’est bien pourquoi
tu es ici à cette heure. Toi et nul autre. De tous ceux à qui j’ai
enseigné, tu es bien le plus dévoué, le plus travailleur et le plus
sagace.
- Maître, c’est…
- Chuuuuut, ne dis plus rien fils, écoutes et respectes, autant que tu le pourras, mes dernières volontés.
Je
crois qu’avant qu’il ne me dise ses mots, ses yeux plongés dans les
miens, je n’avais pas vraiment cru qu’il pourrait nous quitter, qu’il
allait mourir. Une part de moi avait toujours pensé que, par un miracle,
il allait soudain guérir et revenir arpenter les couloirs de la
bibliothèque comme il l’avait fait tant de fois par le passé. Je restais
silencieux, immobile mais davantage pétrifié par la soudaine
compréhension de ce vide qu’il allait laisser dans ma vie que par sa
demande.
-
Voilà. C’est bien. Dans un instant, tu iras me chercher une
nouvelle potion. Celle-ci n’assure plus son office et j’aimerais passer
mes derniers instants en paix. Mais avant, écoutes et retiens. Dans nos
livres, nous consignons le savoir, la connaissance. Mais pas la
compréhension, la sagesse. Il nous faut la sagesse. Tu feras construire
une tour des sages. Un endroit qui ne sera pas dédié à la connaissance,
mais à la compréhension. Où ? Ecoutes ton cœur. Fies-toi à ton instinct.
Lorsque tu ressentiras en toi une certitude, forte, puissante, alors tu
auras trouvé l’endroit ? Alors tu pourras commencer à creuser des
fondations. Mais attention ! Ces fondations devront être creusées avec
sagesse, doucement, précautionneusement, avec grande attention. Il te
faudra superviser le travail des ouvriers pour qu’il n’abîment rien.
Lorsque les fondations auront été creusées avec sagesse et que vous en
aurez retiré tout ce que vous aurez à en retirer, alors tu pourras faire
s’élever une belle et grande tour. M’as-tu bien compris ?
Je
chuchotais que oui mais, en mon for intérieur, m’étonnais de cette
dernière volonté. La bibliothèque, la ville, notre peuple, ses amis, sa
famille… N’avait-il rien à dire à personne ? Juste l’envie de voir
construire un autre bâtiment, aussi important puisse-t-il être ? Je ne
savais pas quoi en penser.
-
Je vois sur ton visage le doute, Fedorel et je le comprends
bien mais je t’en prie, une fois encore, fais confiance à ton vieux
maître et respectes mes consignes.
- Oui, maître.
-
Bien. Vas maintenant me chercher ma potion. Elle est dans
l’armoire, sur l’étagère du haut. Vides ce qui reste et mêles y du vin.
Cela masquera le goût et ne me nuira pas trop. Verses bien tout surtout.
Je t’en prie.
Le
contenu de la fiole qui se trouvait sur l’étagère ne m’était pas
inconnu. Il s’agissait d’un sédatif puissant dont je savais qu’à forte
dose il provoquerait un sommeil permanent. Mais j’avais promis. Je
n’hésitais qu’un instant avant de revenir remplir la timbale d’Oq’triam
du sédatif et de vin et de lui faire boire.
-Merci, fils. C’est un grand bien que tu me fais.
Ce
furent ses derniers mots. Le temps qu’il s’endorme, je lui tins la
main. J’écoutais chacune de ses respirations, de plus en plus lentes, de
plus en plus profondes et puis plus douces, à devenir imperceptibles ?
Jusqu’au dernier tressaillement. Oq’triam était mort.
Je
ne quittais pour autant pas son chevet et lui tins la main encore, tout
la nuit. Je ne sais si j’eus cette vision éveillé ou assoupi mais je ne
me souviens pas m’être redressé au matin.
Pourtant,
je vis. Je vis la ville, vue du ciel, comme si j’étais un oiseau. Il
faisait plein jour mais le soleil ne m’éblouissait pas. La ville était
telle que je la connaissais, comme on la voit lorsqu’on la contemple
depuis les hauteurs attenantes. Sauf pour un endroit où de nombreuses
personnes s’activaient dans une grande fosse. Je volais jusqu’à la fosse
et me retrouvais devant un monolithe fait d’une matière qui m’était
inconnue.
Puis
la fosse disparut, ne resta plus que le monolithe, flottant dans l’air.
Comme une gigantesque plaque de marbre tenant droit. Du monolithe, des
lumières jaillirent de chacune de ces six faces. J’étais terrorisé.
Entends ! Entends la voix de Namnesis !
Apprends ! Apprends les six chemins !
Le dessous de la dalle s’appuie sur le passage des Dieux. C’est lui qui soutient.
Le dessus de la dalle est pour les écoles qui transmettent.
Les côtés de la dalle sont pour les forges et la bibliothèque qui maintiennent.
Le dos de la dalle est pour les aris qui protégent.
Le devant de la dalle est pour les prêtres de Namnesis qui me parlent.
Vas ! Retournes au passé et reviens lorsque tu seras prêt.
Un
coq chanta. Au dehors, le jour commençait à se faire. Je me levai,
embrassai mon maître sur le front et quittai son chevet. Les derniers
mots de mon maître prenaient alors tous leurs sens. Cela ne pouvait être
fortuit. Je me dépêchais donc de rentrer dans ma chambre et d’y écrire
ces mots que vous lisez à présent. Je donnerai ce parchemin à mon réveil
sans en rien retirer. Vous ferez ce qui vous semblera juste. Je
n’opposerai pas de résistance. Moi, maintenant, je vais aller pleurer
mon maître et puis, espérer que le rêve devienne réalité et regretter
qu’il ne soit plus là pour la voir, la dalle de Namnésis.
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