Bienvenue dans mon vrac.

Vous y trouverez des textes variés : Grandeur Nature, atelier d'écriture, poèmes ou autres : aventures et histoires.

En vous souhaitant de prendre autant de plaisir à les lire que j'en ai eu à les écrire.

Mesalena

Leurs corps, au départ si petits, si fragiles, si désarmés face à la moindre adversité, avaient grandi, les faisant chaque jour un peu moins enfant, un peu plus résistants. Des années étaient passées. Ils étaient devenus grands.

L’énergie qui s’écoulait en eux continuait d’affluer, torrent puissant emplissant leur corps à ras bord et poussant sous la peau. Mais ils étaient devenus grands et ils sentaient venir le moment où les rivières d’énergie, trop longtemps contenues, se déverseraient d’eux en flot rugissant, incontrôlable, et dévasteraient les alentours.

Assis à la table où ils prenaient leurs repas chaque jour depuis tant d’années, les quatre se regardaient en silence.

Akioch aux cheveux blancs souleva les sourcils, façon de demander : « Partons-nous ? » Fangor aux cheveux noirs fit la moue, souleva une épaule. Il n’était pas certain. Honusis aux cheveux gris ouvrit les mains. « Quel autre choix avons-nous ?» Kemorne aux cheveux roux se frotta les yeux. Il hésitait aussi. La main sur la bouche, il hocha de la tête pour marquer son assentiment et regarda Fangor qui pencha la tête sur le côté et après un moment, souleva les épaules « Soit. Partons. »

Les quatre étaient d’accord.

Ils finirent de manger, ne sachant quand serait leur prochain repas et se levèrent ensemble lorsqu’ils eurent terminé. Ils prirent les bols, les assiettes, les verres, fourchettes et couteaux et les ramenèrent en cuisine. Ils prirent ce qui restait de pain, le posèrent sur une table voisine. Et ils sortirent.

Au charretier qui passait Akioch dit « Nous partons. » Puis Fangor « Pour un temps »,Honusis « Mais nous reviendrons. » et Kemorne « Bientôt » et ils sortirent du village.

Ils contournèrent les champs, passèrent par les collines. Ils franchirent des rivières, traversèrent des forêts. Longtemps, ils marchèrent, de l’aurore au couchant. Lorsque la nuit tombait sans chercher ils trouvaient de quoi se restaurer, un abri pour la nuit ce qui leur indiquait qu’il s’agissait du bon chemin. Ils s’endormaient sereins. Longtemps, ils marchèrent, de l’aurore au couchant. Leurs sandales s’usèrent jusqu’à ne plus être que lambeaux de cuir. Ils continuèrent pieds nus, au début souffrant et puis, avec le temps, ne sentant plus les douleurs des rochers affleurants, des ronces et des piquants. Longtemps, ils marchèrent, de l’aurore au couchant.

Le passage dans la roche était étroit. Les quatre s’y faufilèrent et avancèrent dans le noir, parfois rampant, parfois grimpant, se déchirant les chairs mais toujours avançant. Ils subirent la chaleur dans la pierre, devenue infernale, les faisant transpirer et leur brûlant les mains. Ils souffraient en marchant de cloques et de brûlures mais toujours avançant. Les bruits d’un orage sévissant au dehors résonnaient, repartaient en écho jusqu’à l’assourdissant. Ils se bouchèrent les oreilles de leurs doigts brûlés, parfois en titubant mais toujours avançant.


Et soudain la lumière leur montrant le chemin. L’éclat rouge de la lave s’écoulant sous un pont naturel de roche et juste après le pont, une pierre levée au centre d’un grand cercle de feuilles séchées. Les étoiles apparaissaient au loin, par une déchirure dans la montagne, comme la marque de la griffe d’un ours. Et puis en contre-bas, non vue mais devinée, sentie, la mer venant battre sur les rochers.

Chacun par un côté pénétra dans le cercle. Ils s’assirent, jambes croisées, se prirent par la main et posèrent leurs têtes contre la pierre.

Alors l’énergie, en eux accumulée, se mêla à celle des autres au sein de la pierre. Quatre rais de lumière du sommet en sortirent. Le premier s’enfonça dans la lave et devint rouge sang. Le second se planta dans la roche et, comme elle, devint gris. Le troisième partit loin, plonger dans la mer. D’abord d’un bleu foncé, il vira ensuite au noir. Le dernier s’éleva à toucher un nuage et lorsqu’il l’effleura, il se teinta en blanc.

Kemorne fut aspiré vers l’océan de lave. Il y nagea longtemps jusqu’à ce qu’elle se refroidisse. Il se hissa alors sur la lave durcie. Un îlot de roche au milieu d’un océan de feu. L’îlot s’agrandit jusqu’à devenir île, presqu’île, continent. La roche s’effritait devenant de la terre où se mirent à pousser fleurs, arbres et buissons. Des buissons jaillirent des animaux. Kemorne maintenant savait. Il saurait par son art, un jour, recréer.

Honusis fut aspiré vers la roche et se sentit compressé, écrasé, ne pouvant plus respirer, tentant de remuer. Il remua tant qu’une grotte finit par se former dans laquelle, il put se reposer. Honusis poussa les murs de sa grotte qui formèrent des tunnels. Dans chacun des passages qu’il venait de créer un secret de la terre lui était révélé ; Ce qui pousse dans le noir, qui soigne et qui guérit. Ce qui rampe dans le noir, qui blesse ou fait mourir. Mais aussi les pouvoirs du feu secret, réchauffeur de cœur comme le feu sous la cendre ou destructeur de corps comme le feu du volcan. Honusis maintenant savait. Il saurait par son art, un jour, recréer.

Fangor fut aspiré vers l’océan. Profond, de plus en plus profond. Toujours plus bas. Dans le noir absolu. Un poisson lumière vint se caler sur son épaule. Fangor vit alors le pays du courant. De grandes créatures, tentacules, nageoires, s’ébattaient en riant ou se battaient à mort. Ceux qui étaient blessés se frottaient aux murènes et s’en trouvaient guéris. Ceux qui étaient perdus, en plongeant vers le haut, avaient la lune pour les guider. Fangor maintenant savait. Il saurait par son art, un jour, recréer.

Akioch fut aspiré vers le ciel et mêlé au nuage, son corps fut dissous. De triste solitude, il pleura sur la terre et se joignit ainsi aux rivières. Il fut bu par les plantes, bu par les animaux et partagea la vie de ceux qui l’avaient bu. Plus d’un millier de fois, il vit la vie éclore. Plus d’un million de fois il sentit la vie se tarir. Et toujours la vie jaillissait, toujours la mort l’emportait. Mais l’eau de son corps restait et passait de corps en corps, sans jamais être dispersée. L’immortalité. Akioch maintenant savait. Il saurait par son art, un jour la recréer.

Les quatre écartèrent la tête de la pierre. Les rayons de lumière dans l’air se dispersèrent. La pierre levée se fendit en quatre et un souffle inconnu vint disperser les feuilles séchées.
 


Ils se relevèrent lentement. Il étaient restés longtemps sans bouger. Leurs corps étaient fatigués. Ils leur fallait se reposer. Ils joignirent de nouveau leurs mains et par la simple volonté se retrouvèrent en un instant au village. Ils devraient maintenant expliquer et trouver ceux qui par leur art, un jour, sauraient recréer. Mais les quatre maintenant savaient que le plus important venait d’être fait.

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