Bienvenue dans mon vrac.

Vous y trouverez des textes variés : Grandeur Nature, atelier d'écriture, poèmes ou autres : aventures et histoires.

En vous souhaitant de prendre autant de plaisir à les lire que j'en ai eu à les écrire.

La chair

Cette année son père avait préféré ne pas l'emmener avec lui pour aller à la célébration. Il « ne le voulait pas dans ses pattes » comme il disait dans son vocabulaire d'ancien simple marchand, car il avait bien trop de travail. Alors Drovas en avait profité, avec l'accord de son père, pour inviter ses amis et ils étaient cinq à partir pour Kaïku sur le second bateau ; ainsi que les gens de service bien sûr : équipage, cuisiniers, serveurs, femmes de chambre et tous domestiques. Les cinq se régalaient d'avance des heures suaves à venir, verbalement. Ils s'abstenaient de tout comportement tendancieux à l'égard du personnel. La honte d'une telle infamie aurait ternie à jamais la réputation de la famille si récemment anoblie. Mais pendant le Marcheur, tout était permis. Ce qui y arriverait y resterait. Alors les cinq amis multipliaient les détails dans leurs descriptions de ce qu'ils feraient une fois arrivés : de longues heures de discussions pour ce qui, pourtant, se résumait à une surabondance de corps inconnus enchevêtrés. « Qu'importe de qui il s'agit. C'est d'être avec eux l'important. » affirmait Drovas tandis qu'ils accostaient.

Passées les formalités où Drovas les avait retenus pour rien pendant un bon moment, ses quatre amis en étaient encore à discuter de leurs orgies lorsqu'ils arrivèrent à leur l'hôtel, le « Jorjevais ». Tout à leurs narrations charnelles, ils ne remarquèrent pas que Drovas était devenu silencieux, se contentant de confirmer de la tête.

Leur suite était plus que correcte, conclurent les amis, après une rapide visite. Pas la plus grande qui soit mais tout de même cinq chambres, un salon, la terrasse et bien sûr les dépendances, cuisine et coin du personnel. Cela serait supportable pour une période aussi courte.
A la grande surprise de ceux qui déjà y préparaient un repas, Drovas visita les dépendances, sans rien dire.
Le maître d'hôtel signala qu'il ne serait pas possible d'organiser le genre de soirées dont ils parlaient car les autres résidents s'en plaindraient, sûrement par jalousie, ce qui compromettrait irrémédiablement la réputation du père de Drovas, ce que le maître d'hôtel ne pouvait laisser faire.
À sa grande surprise, Drovas le remercia et lui demanda s'il pourrait lui indiquer un moyen de satisfaire ses amis, lui-même n'étant pas intéressé. Le soulagement visible de Drovas fit comprendre au maître d'hôtel qu'il ne s'agissait pas d'une feinte vertu et qu'aider ses amis à partir lui serait une bénédiction. Il promit de faire son possible. Drovas le remercia encore et sortit. Il devait maintenant retrouver ces larmes et ce rire au larmes, entendus alors qu'ils payaient. Rue du taillage avait dit le préposé. Il suffirait de demander.

Demander ne suffisait pas. Il fallait aussi être entendu. Dans la cohue permanente de chants et de danse, il s'agissait d'un défi que Drovas ne put relever. Il finit par se laisser porter par le courant humain jusqu'à l'entrée de l'église du Marcheur. La plus grande construction de l'île qui pourtant n'avait rien d'extraordinaire, au contraire : Dehors, marches de perron usées, torchis éventré, poutres pourries. Dedans, bougeoirs rouillés, bancs brisés et réparés de multiples fois. Ni vitraux, ni statues. Ni peintures, ni dorures. Et pourtant tant de ferveur. Ici venaient se recueillir tous les nomades, les errants, les pauvres, les croyants. Drovas resta un long moment tête baissée, perdu dans ses pensées.
C'est le rire qui lui fit relever la tête, le rire aux larmes. Ce n'était pas Drovas qui avait trouvé le rire, mais bien le rire qui avait trouvé Drovas. Lorsqu'il se rendit compte qu'en plus, ce n'était pas la première fois, il rit à son tour et vint à leur rencontre. Il les entraîna au dehors et leur dit qu'il leur fournirait un toit et à manger pour la célébration. Il n'auraient qu'à repasser à son hôtel et demander au maître d'hôtel.

Le maître d'hôtel lui apprit que ses quatre amis étaient partis s'amuser mais qu'il ne voyait aucun manquement au savoir-vivre dans le fait d'héberger une troupe tant qu'elle évitait les comportements malséants. Drovas le remercia encore et invita ses nouveaux amis à entrer. Il alla voir son personnel. Ils furent d'abord dépités de cette augmentation brutale de leur charge de travail mais ensuite ravis d'apprendre qu'ils n'avaient en fait plus de service à tenir jusqu'au retour au bateau.

De retour dans le salon, il vit les sacs. « Ainsi donc vous les avaient retrouvés. » « C'est proprement incroyable. » dit le jeune homme qui semblait diriger la troupe, Fel, « Le fripier les avait. Tous. Même celui de l'agent. Quand on lui a demandé s'il aurait de quoi nous aider à nous costumer avec le peu qu'il nous restait, il les a juste sorti de sa réserve en disant « bien perdu. Bien rendu. » comme si ça expliquait tout. Il ne nous a rien fait payer et nous a souhaité une bonne célébration. Incroyable. » Il haussa les épaules et ajouta « aussi incroyable que de se retrouver dans un hôtel comme celui-ci. » « Kaïku ! C'est Kaïku ! » dit son amie au lémure avant d'éclater de ce rire que Drovas n'était pas près d'oublier. Un rire qu'il entendrait à la fin de la célébration, lorsqu'il viendrait aider à réparer ce qui devait l'être dans l'église du Marcheur. Qu'il entendrait aussi à son départ de l'île, une fois devenu moine. À son retour chez lui, avec un père fier de son fils et désireux de l'aider à réaliser son projet. Encore pendant toutes ces années où il dirigerait son centre d'accueil - avec cette devise au fronton : qu'importe de qui il s'agit. C'est d'être avec eux l'important - traitant chaque nouvel arrivant du mieux qu'il pourrait.
Mais pour les jours à venir, ce qu'il devait faire, c'était partager avec ses invités, l'apprentissage de la cuisine, la vaisselle et tout ce qu'il avait à apprendre.

« Drovas ! »appela fel.
« Oui ? »
« Je crois que celui-là est pour toi. » sourit-il en lui tendant le sac de l'agent.

Lorsque le maître d'hôtel vit Drovas redescendre, avec tous les autres, dans sa tenue de tissus bleus, lui si stoïque, laissa échapper un petit sourire en coin et lui souhaita, ainsi qu'aux autres, tous les bienfaits du Marcheur.

L'arrivée Le contact Le passage La chair  
La forme Le souffle L'âme Le départ

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire