Bienvenue dans mon vrac.

Vous y trouverez des textes variés : Grandeur Nature, atelier d'écriture, poèmes ou autres : aventures et histoires.

En vous souhaitant de prendre autant de plaisir à les lire que j'en ai eu à les écrire.

Le souffle

Gelkelef était le seul marchand à venir tous les jours rue Taillade et pas seulement pendant les célébrations. Chaque matin, il venait ouvrir son bazar avec un livre, achalandait ses deux étals et s'installait. Chaque jour, il lisait son livre. Parfois, il faisait une affaire. Chaque soir il rangeait ses étals et rentrait chez lui avec son livre.
 
Ce matin là, il vit que presque toutes les boutiques de la rue étaient ouvertes, comme toujours lorsque le Marcheur était là, mais peu d'entre elles étaient surveillées, comme si leurs propriétaires les avaient laissées ouvertes pour la nuit et étaient partis danser, laissant tout aux bons soins du Marcheur, ce qui devait d'ailleurs être le cas pour certains et qui pourraient leur donner tort ? Il aurait fallu être un sacré imbécile ou un profond ignorant pour voler pendant cette période : Tout le monde savait que le Marcheur rendait à chacun selon ce qu'il offrait.

Imbécile ou ignorant, ce serait certainement ce qu'il faudrait décider se dit Gelkelef en voyant son nouveau client. Sûr de lui, méprisant, mentant sur l'origine de ce qu'il avait à vendre, convaincu de tout savoir : imbécile et ignorant. Le genre dont il fallait se débarrasser vite. C'est pourquoi Gelkelef refusa d'abord d'acheter tous ces sacs mais les accepta ensuite en échange d'un costume et de quelques outils qui attendaient là depuis bien longtemps. Il les entreposa dans sa réserve et revint à son livre.

Quelques heures plus tard, un groupe vint lui demander s'il aurait de quoi les costumer tous, au vu de leur maigre budget. Ils avaient la marque des nomades mais ne semblaient pas en être. Il leur demanda. Non, ils n'en étaient pas. C'est le préposé qui leur avait recommandé de venir ici qui leur avait fait la marque pour qu'ils puissent entrer malgré tout. C'est en demandant le pourquoi du malgré tout qu'il comprit, en entendant leurs mésaventure. Les sacs étaient les leurs. Il leur dit que c'était une grande chance qu'ils soient venus chez lui car on les lui avait apporté justement. Il les sortit de la remise et leur rendit. Lorsqu'ils proposèrent de le dédommager, il refusa avec une phrase rituelle et se contenta de caresser le lémure qu'une jeune fille avait sur l'épaule.

Un an passa et Gelkelef avait tout oublié de l'histoire lorsqu'au Marcheur suivant un noble marchand vint jusqu'à son bazar. Il se nommait Cordras et souhaitait faire commerce avec Kaïku. Il l'avait choisi lui car, un an plus tôt, il avait aidé une troupe à laquelle son fils s'était joint et, refusant d'en profiter, avait ainsi montré son intégrité. Lorsque Cordras apprit qu'en plus Gelkelef travaillait toute l'année, il en fut plus que content. Ce qui était un remerciement dissimulé, à la demande de son fils, allait possiblement devenir une activité rentable s'il s'y prenait bien. Avec de la vente à l'année de biens courants, au pire, il ne perdrait rien et au mieux, il gagnerait de quoi financer la construction que son fils lui avait demandé, construction dont on avait eu vent même à la cour et dont on avait salué l'initiative. Le père, le marchand et le noble étaient tous trois très fiers. Comme il l'avait promis à Cordras, alla ensuite faire une offrande à l'église du Marcheur.

L'agent n'était pas satisfait de ce que le fripier lui avait proposé mais, il avait préféré accepter pour ne pas perdre de temps. Tant de boutiques étaient vides. Il aurait été impardonnable de ne pas se servir avant qu'elles ne le soient plus. Il emplit un sac dans une boutique d'argenterie et en prit un autre qui devait avoir été préparé pour l'escalade, avec sa corde attachée. Il revendrait le premier de l'autre côté de la ville et se servirait du second pour aller chez les riches. Mais d'abord disparaître. Il passa le costume multicolore et cacha ses vêtements avec le sac d'argenterie. Il fit le tri dans le sac d'escalade pour l'alléger le plus possible, enlevant les rations séchées et la couverture pour pouvoir y mettre de ce qu'il trouverait pendant sa prospection et laissant le piolet, vu qu'il n'aurait pas à escalader, juste à s'assurer des prises sur un mur. De tout l'attirail, il ne garda au final que les pitons, le maillet, la corde et jeta le reste.
 
Il cacha ses vêtements et l'argenterie dans un trou qu'il avait trouvé dans un des petits tunnels abandonnés des égouts, un trou de plusieurs dizaines de mètres derrière une porte barricadée qu'il n'avait pas eu de mal à forcer tout en lui laissant l'air d'être bien fermé.

Comme prévu, les murs étaient trop lisses pour être grimpés sans matériel. Il commença sa montée vers les plus hauts étages de cet hôtel réputé, semant ses pitons sur toute la façade. Il n'était pas à mi hauteur lorsqu'il entendit une voix au-dessus. « Oui, là ! regardez ! Il est là ! Ils avaient dit vrai. »

L'agent n'attendit pas d'en savoir davantage et repartit vers le sol. Il se rua dans la foule pour s'y cacher et rejoint sa cachette, tout au fond du tunnel. Il regrettait de ne pas avoir gardé la couverture et les rations séchées mais avec ses vêtements et les sacs, il pourrait se faire une couche supportable et il pouvait bien jeûner deux ou trois jours.

Le grand défilé était venu où chacun suivait le Marcheur enfin ré-assemblé. Lorsque le Marcheur passa sur un trou, il pencha un peu. Comme ce n'était pas la première fois, l'escorte du Marcheur réagit immédiatement qui poussant d'un côté avec sa gaule qui tirant de l'autre avec sa corde. Le Marcheur se redressa et chaque suivant aida de ses pieds à combler et tasser le trou comme on leur avait dit de faire si cela arrivait. Ce n'était pas la première fois.

L'agent regretta de ne pas avoir gardé le piolet non plus.

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