Bienvenue dans mon vrac.

Vous y trouverez des textes variés : Grandeur Nature, atelier d'écriture, poèmes ou autres : aventures et histoires.

En vous souhaitant de prendre autant de plaisir à les lire que j'en ai eu à les écrire.

Insolence

La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres.

Une cruche d’eau clair’, un gobelet d’étain,
une tranche de viande, une tranche de pain,
déposés en silence au début du matin
sur une table en bois, j’aurais dit du sapin.

Mâchonner lentement pour sentir la saveur
et verser prudemment, pour ne pas en gâcher,
l’eau dans le gobelet. Avaler sans ferveur
ce liquide sans goût pour aider à mâcher.

Revêtir la tenue de bibliothécaire :
une robe de bure s’arrêtant au mollet,
une faluche noire aux crevés en équerre.
Y passer les couleurs, rouge, vert ou violet.

Se tromper de couleur serait une insolence
prestement condamnée d’un regard courroucé
et pointée d’un index tremblant de virulence :
reproches chuchotés les lèvres retroussées.

Rouge c’est médecine. Vert pour la pharmacie.
Jaune, langues et lettres, histoir’, géographie.
Bleu pour l’architectur’ mais pour les arts aussi
sauf l’argent signifiant musiqu’, phonographie.

Chaussons, eux aussi noirs, pour marcher en silence,
arpenter les couloirs sans se fair’ remarquer.
Faire un bruit en ce lieu serait une insolence
aussitôt sanctionnée d’un reproche marqué.

Descendre un escalier dans la roche taillé.
Traverser une salle à la voûte sculptée.
Rallumer en passant les feux dans les foyers.
S’y réchauffer les mains : moment de volupté.

Mais pas plus d’un instant, ne jamais s’attarder.
Là encore, ce serait une vile insolence
que de rester devant le feu, le regarder,
affichant aux regards une douce indolence.
 

Dés lors que la flambée rayonne aux alentours
l’orang’ de ses reflets, il faut quitter la salle,
s’éloigner du plaisir, sans espoir de retour
et passer le rideau d’une allée transversale

menant à l’atelier d’entretien des ouvrages :
une pièce carrée bien plus haute que large
où s’empilent les livres ayant subi outrage :
déchirure, moisissure, saletés dans la marge.

Une unique ouverture pour apporter le jour
dont les vitres opaques et salies par le temps
mériteraient qu’on les nettoie, au moins, un jour
par année, ou au pire, un’ fois de temps en temps.

Mais ce serait encore une noire insolence
que d’aller remarquer la couvertur’ de crasse
recouvrant les carreaux et masquant l’excellence
d’un vitrail oublié où des amants s’embrassent.

Oublier les carreaux. Prendre le tabouret
Et s’asseoir à la tabl’. Y attraper un livre.
Quelle que soit la couleur, du signet, entourée,
le nettoyer d’abord pour le faire revivre.

Et puis chercher ensuit’ la caus’ de sa venue :
une page arrachée, la reliure abîmée,
de l’encre renversée. Accidents malvenus.
Devant si peu de soins, critique réprimée.

Car se serait encore une belle insolence
que faire remarquer qu’il faudrait ménager
plutôt que de traiter par mépris ou violence
la connaissance offert’, le savoir partagé.

Et tandis que la pile des livres réparés
augmente doucement, toujours trop lentement,
surveiller, dans la pile des livres à réparer,
le signet à changer de livre, simplement.

C’est la plus douce de toutes les insolences
de ne pas réparer, garder par devers soi,
un ouvrage si beau qu’il n’a d’équivalence.
Toujours en le voyant, réparer je sursois.

Chaque jour je le prends, après le déjeuner.
Pendant un bon moment, personne ne viendra
déposer d’autres livres abîmés, malmenés.
Des écrits réparés, personne ne prendra.

Je l’ouvre lentement, m’emplit de son odeur,
m’imaginant déjà transporté vers ailleurs.
Je regarde une à une, chacune des splendeurs,
ne sachant décider laquelle est la meilleure.

C’est un livre de mer, d’oiseaux et bateaux
où de fiers capitaines visitent le lointain,
marchandant des épices, des soieries, des métaux
et pêchent au lamparo jusqu’au petit matin.

C’est un livre où le vent fait se gonfler les voiles
des avides pirates affamés d’aventure,
où l’on connaît le nom de toutes les étoiles
pour leur avoir parlé, pas par littérature.

Ma main : continues de nettoyer les ouvrages.
De réparer ceux qui ont été déchirés.
Mon bras : continues de transporter les ouvrages.
D’aller ranger ceux qui ont été réparés.

Mon pied : continues de t’avancer en silence.
De passer sans un bruit les couloirs, les allées.
Mon esprit : continues d’éviter l’insolence.
Il n’est pas encore l’heure pour moi de m’en aller.
 


Mais, ô mon cœur, entends le chant des matelots !
 
 

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