Bienvenue dans mon vrac.

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En vous souhaitant de prendre autant de plaisir à les lire que j'en ai eu à les écrire.

Réveil

Dans la plaine rase, sous la nuit sans étoiles, d’une obscurité et d’une épaisseur d’encre, un homme suivait seul la grande route … à travers les champs de betteraves.
 
Il avançait d’un pas traînant, ses talons marquant la terre de deux sillons irréguliers. La longue robe à capuchon qu’il portait était si noire que n’eut-ce été le bruit de ses pas, je n’aurais jamais su qu’il se trouvait là avant qu’il ne commence à parler. Marmonner, devrais-je dire.
 
Moi, j’étais couché dans le fossé. Par chance il n’avait pas plu les jours précédents, alors, je n’avais pas longtemps hésité à me poser là, au milieu de nulle part, dans la terre meuble du bas-côté, ne prenant le temps que de poser doucement mon instrument pour qu’il ne s’abîme pas avant de m’étendre, me couvrir de ma cape et fermer les yeux, ne plus penser et m’endormir.
 
Il faut dire que j’étais épuisé, vidé. J’avais tout fait pour. Trois jours durant j’avais marché, sans m’arrêter, sans dormir, sans manger ; pour parvenir à ne plus penser, enfin. Oublier Catherine. Oublier les Maheu. Oublier Montsou.
 
Montsou. Quelques maisons regroupées derrière une palissade à peine assez haute pour empêcher les chiens de la sauter. Un dépôt de matériel faisant office de taverne le soir et de salle des fêtes pour les mariages, les baptêmes ou les enterrements, le dimanche. Une caserne en torchis à un étage aux portes de guingois occupée par six soldats dont un boiteux et deux imberbes. Un temple depuis longtemps abandonné par les dieux et leurs serviteurs où seuls quelques rats venaient encore parfois faire leurs dévotions. Et les gens de Montsou qui, malgré tout, n’étaient pas partis, selon la logique des gens de leur pays.
 
 

J’avais pour habitude, comme les autres pratiquants de mon art, de me faire offrir le gîte et le couvert, ainsi que quelques pièces, en échange de beaux vers ou de jolies chansons, une histoire ou un conte. Mais pas cette fois, non. Je n’avais pas pu. Comme c’est le cas le plus souvent, j’avais été bien accueilli et je savais que d’eux-mêmes, les habitants de ce village m’offriraient de quoi manger, me prépareraient un bon lit, sans que je n’ai rien à demander. Mais je ne pouvais les priver de ce qui, visiblement, leur faisait tant défaut. Je leur signalais donc que j’avais déjà mangé et qu’ayant pour habitude de dormir au dehors, je préférais, pour la nuit, un simple coin de paille avant d’entamer un de ces airs à danser qui ont le don de faire oublier aux spectateurs de quoi ils causaient l’instant d’avant. Et la soirée passa dans les rires, les danses et les chants.
 
Alors que j’étais sorti prendre l’air, le temps d’une pause, je fus abordé par un vieil homme au parler franc et au regard rieur. Il s’appelait Vincent mais tout le monde l’appelait Bonnemort parce que déjà trois fois il aurait dû y passer – Dans un incendie, sous un éboulement et lors d’une inondation – mais vu qu’à chaque fois il s’en était sorti, on pensait qu’il mourrait dans son lit de sa bonne mort. La couleur, noirâtre, de ce qu’il recrachait lorsqu’il était parfois pris d’une quinte de toux me faisait douter de la justesse de cet avis mais je n’allais pas m’opposer à haute voix à l’opinion générale, c’eut été stupide.
 
L’homme était fort plaisant à côtoyer et c’est pourquoi, lorsqu’il me proposa de venir dormir chez lui, j’acceptai. C’est ainsi que je fis la connaissance des Maheu. Enfin, des autres Maheu ; le fils de Vincent d’abord, Toussaint. La femme de Toussaint ensuite, la Maheude. Et leurs enfants : Zacharie, Jeanlin, Alzire, Lénore, Henri, Estelle et, en retrait, Catherine.
Catherine…

C’est surtout pour elle que je décidais de rester quelques jours à Montsou, me proposant pour aider à quelque travail de champ, d’écurie ou de grange en échange des repas. Et c’est ainsi que je restais bien plus longtemps que je ne l’avais prévu initialement. Jusqu’à cette nuit où ils attaquèrent.
 
Il ne s’agissait pas d’une grande armée. A peine une bande, trente, quarante Orcs, guère plus. Ils avaient rampé depuis la mi-nuit, s’avançant silencieusement jusqu’à la palissade qu’ils n’avaient franchi qu’un peu avant potron-minet. Le temps qu’on les aperçoive et que l’alarme ne soit donnée, déjà des maisons brûlaient et des cadavres gisaient.
 
Je sortis prêter main-forte aux villageois et ne revint à la maison des Maheu qu’une heure plus tard, avec Zacharie, le cœur lourd. Toussaint avait été tué. Je l’avais vu mourir d’un coup d’épieu. Bonnemort était resté s’en occuper.
 
La porte des Maheu avait été enfoncée. Jeanlin, allongé sur le sol, tentait de retenir le sang qui giclait de sa jambe. Repoussant le cadavre d’un Orc, je lui fis un rapide garrot. Dans la cuisine, le corps d’Alzire gisait, disloqué et sans vie. Pauvre petite.
 
La Maheude s’était barricadée à temps mais n’avait pu sauver que Lénore, Henri et Estelle. Tandis qu’elle pleurait, Alzire dans ses bras, je cherchais Catherine mais ne la trouvais pas. Les Orcs l’avaient emmené.
 
Nous nous lançâmes à leur poursuite avec Zacharie et tout le jour durant les pistâmes. Mais lorsqu’enfin nous les retrouvâmes, Zacharie y perdit la vie, lui aussi et c’est dans mes bras que Catherine rendit son dernier soupir.
 
Je ramenais leurs corps comme je pu, à l’aide d’un brancard de branchages.
 
A mon retour, Bonnemort me remercia. Ce qui me fit honte. Je lui demandais s’il comptait quitter le village mais il me répondit qu’il était Trigan et qu’il ne céderait pas, fut-ce t-il le dernier habitant de Montsou et qu’il étranglerait de ses mains ses ennemis.
 
C’est alors que j’ai fui…

… Pour me retrouver, à la nuit, allongé dans ce fossé, entendant les incantations que je devinais noires, maléfiques, démoniaques.

Un halo lumineux apparut entre les mains levées du nécromant et au-dessus, de noirs nuages s’amoncelèrent. Bientôt des éclairs vinrent frapper le halo, le faisant grossir, gonfler, encore et encore. Le halo devint plus gros que l’homme qui le portait. Et plus gros encore. Soudain, il explosa en des dizaines, des centaines d’éclairs qui allèrent frapper la terre de tous côtés.
 
L’un d’entre eux me frôla, fit exploser mon instrument. Je m’éloignais en rampant lorsque je sentis la terre vibrer sous moi, se craqueler et faire sortir les betteraves, par milliers, aussi loin que j’osais regarder.
 
Je me retournais vers le nécromant. Il avait baissé les bras et me regardait. Dans ses mains de pâles lueurs rayonnaient encore, l’éclairant par en dessous, révélant son sourire, moqueur.
 
Une main décharnée à la chair putréfiée jaillit du sol, broya une betterave dont j’imaginais le jus dégoulinant, rouge sang, la nourrir, lui donner force. Une autre main, un peu plus loin se dressa et une autre encore. Et puis un bras, un corps, d’autres corps encore. Des cadavres étaient revenus à la vie.
 
De terreur, j’ai fui. Oubliant le nécromant. Oubliant Catherine, les Maheu et Montsou. J’ai fui.
 
Ce n’est que des heures plus tard que je repris mes esprits et décidais d’aller prévenir le poste de garde le plus proche. Ils fallaient qu’ils sachent :
 
 Des hommes poussaient, une armée noire, vengeresse, qui germait lentement dans les sillons … et dont la germination allait bientôt faire éclater la terre.
 

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